Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/397

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sur les buissons quelques flocons de laine. Elle tord cette laine, l’allonge en fils égaux et fins, les réunit sur une lance, les entrecroise, et se fait une robe souple et légère, plus élégante mille fois que les peaux rapiécées qui couvre sa dédaigneuse maîtresse. C’est Arachné, la tisserande, qui a créé cette merveille ! Aussitôt le maître commence à tondre le poil de ses brebis, de ses chameaux et de ses chèvres ; il donne à sa femme une troupe d’esclaves, qui filent et qui tissent sous ses ordres. Ce n’est plus Arachné, l’humble servante ; c’est Pallas, la fille du propriétaire, que les dieux ont inspirée, et dont la jalousie se venge sur Arachné en la faisant mourir de faim.

Quel spectacle que cette lutte incessante du travail et du privilège, le premier créant tout de rien ; l’autre arrivant toujours pour dévorer ce qu’il n’a point produit ! — C’est que la destinée de l’homme est une marche continue. Il faut qu’il travaille, qu’il crée, multiplie, perfectionne toujours et toujours. Laissez le travailleur jouir de sa découverte ; il s’endort sur son idée : son intelligence n’avance plus. Voilà le secret de cette iniquité qui frappait A. Smith, et contre laquelle cependant le flegmatique historien n’a pas trouvé un mot de réprobation. Il sentait, bien qu’il ne pût s’en rendre compte, que le doigt de Dieu était là ; que jusqu’au jour où le travail remplit la terre, la civilisation a pour moteur la consommation improductive, et que c’est par la rapine que s’établit insensiblement entre les hommes la fraternité.

Il faut que l’homme travaille ! C’est pour cela que dans les conseils de la Providence, le vol a été institué, organisé, sanctifié ! Si le propriétaire se fût lassé de prendre, le prolétaire se fût bientôt lassé de produire, et la sauvagerie, la hideuse misère, était à la porte. Le Polynésien, en qui la propriété avorte, et qui jouit dans une entière communauté de biens et d’amours, pourquoi travaillerait-il ? La terre et la beauté sont à tous, les enfants à personne : que lui parlez-vous de morale, de dignité, de personnalité, de philosophie, de progrès ? Et sans aller si loin, le Corse, qui sous ses châtaigniers trouve pendant six mois le vivre et le domicile, pourquoi voulez-vous qu’il travaille ? Que lui importent votre conscription, vos chemins de fer, votre tribune, votre presse ? De quoi a-t-il besoin que de dormir quand il a mangé ses châtaignes ? Un préfet de la Corse disait que pour civiliser cette île, il fallait couper les châtaigniers. Un moyen plus sûr c’est de les approprier.