Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/402

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la nature ; et si la possession ainsi obtenue est tout à fait légitime, j’ai pareillement le droit de me composer, des éléments divers que je me procure par le travail et par l’échange, un produit nouveau, qui est ma propriété, et dont j’ai droit de jouir exclusivement à tout autre. Je puis, par exemple, au moyen du sel dont j’extrairai la soude, et de l’huile que je tire de l’olive et du sésame, faire une composition propre à nettoyer le linge, et qui sera pour moi, au point de vue de la propreté et de l’hygiène, d’une utilité précieuse. Je puis même me réserver le secret de cette composition, et par censéquent en retirer, au moyen de l’échange, un profit légitime.

Or, quelle différence y a-t-il, sous le rapport du droit, entre la fabrication d’une once de savon, et celle d’un million de kilogrammes ? La quantité plus ou moins grande change-t-elle quelque chose à la moralité de l’opération ? Donc la propriété, de même que le commerce, de même que le travail, est un droit naturel, dont rien au monde ne me peut ravir l’exercice.

Mais, par cela même que je compose un produit qui est ma propriété exclusive, tout aussi bien que les matières qui le constituent, il s’ensuit qu’un atelier, une exploitation d’hommes est par moi organisée ; que des bénéfices s’accumulent dans mes mains au détriment de tous ceux qui entrent en rapport d’affaires avec moi ; et que si vous désirez vous substituer à moi dans mon entreprise, tout naturellement je stipulerai pour moi-même une rente. Vous posséderez mon secret, vous fabriquerez à ma place, vous ferez tourner mon moulin, vous moissonnerez mon champ, vous vendangerez ma vigne, mais à quart, tiers ou moitié partage.

Tout cette chaîne est nécessaire et indissoluble : il n’y a là-dessous ni serpent ni diable ; c’est la loi même des choses, le dictamen du sens commun. Dans le commerce la spoliation est identique à l’échange ; et ce qui est vraiment fait pour surprendre, c’est qu’un régime comme celui-là ne s’excuse pas seulement par la bonne foi des parties, il est commandé par la justice.

Un homme achète à son voisin le charbonnier un sac de charbon, à l’épicier une quantité de soufre venu de l’Etna. Il fait un mélange auquel il ajoute une proportion de salpêtre, vendue par le droguiste. De tout cela résulte une poudre explosible, dont cent livres suffiraient pour abîmer une citadelle. Or, je le demande, le bûcheron qui a carbonisé le