Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 10.djvu/32

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cet état par une jeune fille qu’on aime, même si l’on a gardé son visage et tous ses cheveux blonds de jeune homme ! On ne peut plus assumer la fatigue de se mettre au pas de la jeunesse. Tant pis si le désir charnel redouble au lieu de s’amortir ! On fait venir pour lui une femme à qui l’on ne se souciera pas de plaire, qui ne partagera qu’un soir votre couche et qu’on ne reverra jamais.


« On doit être toujours sans nouvelles du violoniste », dit Cottard. L’événement du jour, dans le petit clan, était en effet le lâchage du violoniste favori de Mme  Verdurin. Celui-ci, qui faisait son service militaire près de Doncières, venait trois fois par semaine dîner à la Raspelière, car il avait la permission de minuit. Or, l’avant-veille, pour la première fois, les fidèles n’avaient pu arriver à le découvrir dans le tram. On avait supposé qu’il l’avait manqué. Mais Mme  Verdurin avait eu beau envoyer au tram suivant, enfin au dernier, la voiture était revenue vide. « Il a été sûrement fourré au bloc, il n’y a pas d’autre explication de sa fugue. Ah ! dame, vous savez, dans le métier militaire, avec ces gaillards-là, il suffit d’un adjudant grincheux. — Ce sera d’autant plus mortifiant pour Mme  Verdurin, dit Brichot, s’il lâche encore ce soir, que notre aimable hôtesse reçoit justement à dîner pour la première fois les voisins qui lui ont loué la Raspelière, le marquis et la marquise de Cambremer. — Ce soir, le marquis et la marquise de Cambremer ! s’écria Cottard. Mais je n’en savais absolument rien. Naturellement je savais comme vous tous qu’ils devaient venir un jour, mais je ne savais pas que ce fût si proche. Sapristi, dit-il en se tournant vers moi, qu’est-ce que je vous ai dit : la princesse Sherbatoff, le marquis et la marquise de Cambremer. » Et après avoir répété ces noms en se berçant de