Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 10.djvu/40

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historique, Douville pourrait fort bien venir d’Ouville, c’est-à-dire : les Eaux. Les formes en ai (Aigues-Mortes), de aqua, se changent fort souvent en eu, en ou. Or il y avait tout près de Douville des eaux renommées, Carquebut. Vous pensez que le curé était trop content de trouver là quelque trace chrétienne, encore que ce pays semble avoir été assez difficile à évangéliser, puisqu’il a fallu que s’y reprissent successivement saint Ursal, saint Gofroi, saint Barsanore, saint Laurent de Brèvedent, lequel passa enfin la main aux moines de Beaubec. Mais pour tuit l’auteur se trompe, il y voit une forme de toft, masure, comme dans Criquetot, Ectot, Yvetot, alors que c’est le thveit, essart, défrichement, comme dans Braquetuit, le Thuit, Regnetuit, etc. De même, s’il reconnaît dans Clitourps le thorp normand, qui veut dire : village, il veut que la première partie du nom dérive de clivus, pente, alors qu’elle vient de cliff, rocher. Mais ses plus grosses bévues viennent moins de son ignorance que de ses préjugés. Si bon Français qu’on soit, faut-il nier l’évidence et prendre Saint-Laurent-en-Bray pour le prêtre romain si connu, alors qu’il s’agit de saint Lawrence Toot, archevêque de Dublin ? Mais plus que le sentiment patriotique, le parti pris religieux de votre ami lui fait commettre des erreurs grossières. Ainsi vous avez non loin de chez nos hôtes de la Raspelière deux Montmartin, Montmartin-sur-Mer et Montmartin-en-Graignes. Pour Graignes, le bon curé n’a pas commis d’erreur, il a bien vu que Graignes, en latin Grania, en grec crêné, signifie : étangs, marais ; combien de Cresmays, de Croen, de Gremeville, de Lengronne, ne pourrait-on pas citer ? Mais pour Montmartin, votre prétendu linguiste veut absolument qu’il s’agisse de paroisses dédiées à saint Martin. Il s’autorise de ce que le saint est leur patron, mais ne se rend pas compte