Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 10.djvu/57

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gens brillants, au courant de ce qu’il est, que fait quelque effet le grand seigneur. M. de Charlus allait, du reste, pouvoir se rendre compte, dès le soir même, que le Patron avait sur les plus illustres familles ducales des notions peu approfondies. Persuadé que les Verdurin allaient faire un pas de clerc en laissant s’introduire dans leur salon si « select » un individu taré, le sculpteur crut devoir prendre à part la Patronne. « Vous faites entièrement erreur, d’ailleurs je ne crois jamais ces choses-là, et puis, quand ce serait vrai, je vous dirai que ce ne serait pas très compromettant pour moi ! » lui répondit Mme  Verdurin, furieuse, car, Morel étant le principal élément des mercredis, elle tenait avant tout à ne pas le mécontenter. Quant à Cottard il ne put donner d’avis, car il avait demandé à monter un instant « faire une petite commission » dans le « buen retiro » et à écrire ensuite dans la chambre de M. Verdurin une lettre très pressée pour un malade.

Un grand éditeur de Paris venu en visite, et qui avait pensé qu’on le retiendrait, s’en alla brutalement, avec rapidité, comprenant qu’il n’était pas assez élégant pour le petit clan. C’était un homme grand et fort, très brun, studieux, avec quelque chose de tranchant. Il avait l’air d’un couteau à papier en ébène.

Mme  Verdurin qui, pour nous recevoir dans son immense salon, où des trophées de graminées, de coquelicots, de fleurs des champs, cueillis le jour même, alternaient avec le même motif peint en camaïeu, deux siècles auparavant, par un artiste d’un goût exquis, s’était levée un instant d’une partie qu’elle faisait avec un vieil ami, nous demanda la permission de la finir en deux minutes et tout en causant avec nous. D’ailleurs, ce que je lui dis de mes impressions ne lui fut qu’à demi agréable. D’abord j’étais scandalisé de voir qu’elle et son