Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 10.djvu/70

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fond, je suis assez curieuse de savoir ce qu’ils ont pu faire de notre pauvre vieille Raspelière (comme si elle y fût née, et y retrouvât tous les souvenirs des siens). Notre vieux garde m’a encore dit hier qu’on ne reconnaissait plus rien. Je n’ose pas penser à tout ce qui doit se passer là dedans. Je crois que nous ferons bien de faire désinfecter tout, avant de nous réinstaller. » Elle arriva hautaine et morose, de l’air d’une grande dame dont le château, du fait d’une guerre, est occupé par les ennemis, mais qui se sent tout de même chez elle et tient à montrer aux vainqueurs qu’ils sont des intrus. Mme  de Cambremer ne put me voir d’abord, car j’étais dans une baie latérale avec M. de Charlus, lequel me disait avoir appris par Morel que son père avait été « intendant » dans ma famille, et qu’il comptait suffisamment, lui Charlus, sur mon intelligence et ma magnanimité (terme commun à lui et à Swann) pour me refuser l’ignoble et mesquin plaisir que de vulgaires petits imbéciles (j’étais prévenu) ne manqueraient pas, à ma place, de prendre en révélant à nos hôtes des détails que ceux-ci pourraient croire amoindrissants. « Le seul fait que je m’intéresse à lui et étende sur lui ma protection a quelque chose de suréminent et abolit le passé », conclut le baron. Tout en l’écoutant et en lui promettant le silence, que j’aurais gardé même sans l’espoir de passer en échange pour intelligent et magnanime, je regardais Mme  de Cambremer. Et j’eus peine à reconnaître la chose fondante et savoureuse que j’avais eue l’autre jour auprès de moi à l’heure du goûter, sur la terrasse de Balbec, dans la galette normande que je voyais, dure comme un galet, où les fidèles eussent en vain essayé de mettre la dent. Irritée d’avance du côté bonasse que son mari tenait de sa mère et qui lui ferait prendre un air honoré quand on lui présenterait l’assistance des fidèles, désireuse pourtant de remplir ses fonctions