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ce voyage, mon cher. Et vous, Madame, avez-vous déjà songé à l’emploi des vacances ?

— J’irai peut-être avec mon fils à Balbec, je ne sais.

— Ah ! Balbec est agréable, j’ai passé par là il y a quelques années. On commence à y construire des villas fort coquettes : je crois que l’endroit vous plaira. Mais puis-je vous demander ce qui vous a fait choisir Balbec ?

— Mon fils a le grand désir de voir certaines églises du pays, surtout celle de Balbec. Je craignais un peu pour sa santé les fatigues du voyage et surtout du séjour. Mais j’ai appris qu’on vient de construire un excellent hôtel qui lui permettra de vivre dans les conditions de confort requises par son état.

— Ah ! il faudra que je donne ce renseignement à certaine personne qui n’est pas femme à en faire fi.

— L’église de Balbec est admirable, n’est-ce pas, Monsieur, demandai-je, surmontant la tristesse d’avoir appris qu’un des attraits de Balbec résidait dans ses coquettes villas.

— Non, elle n’est pas mal, mais enfin elle ne peut soutenir la comparaison avec ces véritables bijoux ciselés que sont les cathédrales de Reims, de Chartres et, à mon goût, la perle de toutes, la Sainte-Chapelle de Paris.

— Mais l’église de Balbec est en partie romane ?

— En effet, elle est du style roman, qui est déjà par lui-même extrêmement froid et ne laisse en rien présager l’élégance, la fantaisie des architectes gothiques qui fouillent la pierre comme de la dentelle. L’église de Balbec mérite une visite si on est dans le pays, elle est assez curieuse ; si un jour de pluie vous ne savez que faire, vous pourrez entrer là, vous verrez le tombeau de Tourville.

— Est-ce que vous étiez hier au banquet des Affaires étrangères ? je n’ai pas pu y aller, dit mon père.