Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 3.djvu/91

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maladies différentes, c’est en fin de compte son flair, son coup d’œil qui décident à laquelle, malgré les apparences à peu près semblables, il y a chance qu’il ait à faire. Ce don mystérieux n’implique pas de supériorité dans les autres parties de l’intelligence et un être d’une grande vulgarité, aimant la plus mauvaise peinture, la plus mauvaise musique, n’ayant aucune curiosité d’esprit, peut parfaitement le posséder. Dans mon cas, ce qui était matériellement observable pouvait aussi bien être causé par des spasmes nerveux, par un commencement de tuberculose, par de l’asthme, par une dyspnée toxi-alimentaire avec insuffisance rénale, par de la bronchite chronique, par un état complexe dans lequel seraient entrés plusieurs de ces facteurs. Or les spasmes nerveux demandaient à être traités par le mépris, la tuberculose par de grands soins et par un genre de suralimentation qui eût été mauvaise pour un état arthritique comme l’asthme, et eût pu devenir dangereux en cas de dyspnée toxi-alimentaire laquelle exige un régime qui en revanche serait néfaste pour un tuberculeux. Mais les hésitations de Cottard furent courtes et ses prescriptions impérieuses : « Purgatifs violents et drastiques, lait pendant plusieurs jours, rien que du lait. Pas de viande, pas d’alcool. » Ma mère murmura que j’avais pourtant bien besoin d’être reconstitué, que j’étais déjà assez nerveux, que cette purge de cheval et ce régime me mettraient à bas. Je vis aux yeux de Cottard, aussi inquiets que s’il avait peur de manquer le train, qu’il se demandait s’il ne s’était pas laissé aller à sa douceur naturelle. Il tâchait de se rappeler s’il avait pensé à prendre un masque froid, comme on cherche une glace pour regarder si on n’a pas oublié de nouer sa cravate. Dans le doute et pour faire, à tout hasard, compensation, il répondit grossièrement : « Je n’ai pas l’habitude de répéter deux fois mes ordonnances. Donnez-moi une plume. Et surtout au