Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 3.djvu/97

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bien établir, par le même scrupule qui me l’avait fait déclarer à M. de Norpois et de peur que Mme Swann me prît pour un menteur, que je ne la connaissais pas et ne lui avais jamais parlé. Mais je n’eus pas le courage de rectifier l’erreur de Bloch, parce que je compris bien qu’elle était volontaire, et que s’il inventait quelque chose que Mme Swann n’avait pas pu dire, en effet, c’était pour faire savoir, ce qu’il jugeait flatteur et ce qui n’était pas vrai, qu’il avait dîné à côté d’une des amies de cette dame. Or il arriva que tandis que M. de Norpois, apprenant que je ne connaissais pas et aurais aimé connaître Mme Swann, s’était bien gardé de lui parler de moi, Cottard, qu’elle avait pour médecin, ayant induit de ce qu’il avait entendu dire à Bloch qu’elle me connaissait beaucoup et m’appréciait, pensa que, quand il la verrait, dire que j’étais un charmant garçon avec lequel il était lié ne pourrait en rien être utile pour moi et serait flatteur pour lui, deux raisons qui le décidèrent à parler de moi à Odette dès qu’il en trouva l’occasion.

Alors je connus cet appartement d’où dépassait jusque dans l’escalier le parfum dont se servait Mme Swann, mais qu’embaumait bien plus encore le charme particulier et douloureux qui émanait de la vie de Gilberte. L’implacable concierge, changé en une bienveillante Euménide, prit l’habitude, quand je lui demandais si je pouvais monter, de m’indiquer, en soulevant sa casquette d’une main propice, qu’il exauçait ma prière. Les fenêtres qui du dehors interposaient entre moi et les trésors qui ne m’étaient pas destinés un regard brillant, distant et superficiel qui me semblait le regard même des Swann, il m’arriva, quand à la belle saison j’avais passé tout un après-midi avec Gilberte dans sa chambre, de les ouvrir moi-même pour laisser entrer un peu d’air et même de m’y pencher à côté d’elle, si c’était le jour de réception de sa mère, pour voir arriver les visites