l’ai rencontré à plusieurs générales, dit M. Nissim Bernard. Il est gauche, c’est une espèce de Schlemihl. » Cette allusion au conte de Chamisso n’avait rien de bien grave, mais l’épithète de Schlemihl faisait partie de ce dialecte mi-allemand, mi-juif, dont l’emploi ravissait M. Bloch dans l’intimité, mais qu’il trouvait vulgaire et déplacé devant des étrangers. Aussi jeta-t-il un regard sévère sur son oncle. « Il a du talent, dit Bloch. — Ah ! fit gravement sa sœur comme pour dire que dans ces conditions j’étais excusable. — Tous les écrivains ont du talent, dit avec mépris M. Bloch père. — Il paraît même, dit son fils en levant sa fourchette et en plissant ses yeux d’un air diaboliquement ironique, qu’il va se présenter à l’Académie. — Allons donc ! il n’a pas un bagage suffisant, répondit M. Bloch le père qui ne semblait pas avoir pour l’Académie le mépris de son fils et de ses filles. Il n’a pas le calibre nécessaire. — D’ailleurs l’Académie est un salon et Bergotte ne jouit d’aucune surface », déclara l’oncle à héritage de Mme Bloch, personnage inoffensif et doux dont le nom de Bernard eût peut-être à lui seul éveillé les dons de diagnostic de mon grand-père, mais eût paru insuffisamment en harmonie avec un visage qui semblait rapporté du palais de Darius et reconstitué par Mme Dieulafoy, si, choisi par quelque amateur désireux de donner un couronnement oriental à cette figure de Suse, ce prénom de Nissim n’avait fait planer au-dessus d’elle les ailes de quelque taureau androcéphale de Khorsabad. Mais M. Bloch ne cessait d’insulter son oncle, soit qu’il fût excité par la bonhomie sans défense de son souffre-douleur, soit que, la villa étant payée par M. Nissim Bernard, le bénéficiaire voulût montrer qu’il gardait son indépendance et surtout qu’il ne cherchait pas par des cajoleries à s’assurer l’héritage à venir du richard. Celui-ci était surtout froissé qu’on le traitât si grossièrement devant le maître d’hôtel. Il murmura une phrase inintelligible
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