enfin savoir le goût ; sa joue était traversée du haut en bas par une de ses longues tresses noires et bouclées que pour me plaire elle avait défaites entièrement. Elle me regardait en souriant. À côté d’elle, dans la fenêtre, la vallée était éclairée par le clair de lune. La vue du cou nu d’Albertine, de ces joues trop roses, m’avait jeté dans une telle ivresse, c’est-à-dire avait pour moi la réalité du monde non plus dans la nature, mais dans le torrent des sensations que j’avais peine à contenir, que cette vue avait rompu l’équilibre entre la vie immense, indestructible qui roulait dans mon être, et la vie de l’univers, si chétive en comparaison. La mer, que j’apercevais à côté de la vallée dans la fenêtre, les seins bombés des premières falaises de Maineville, le ciel où la lune n’était pas encore montée au zénith, tout cela semblait plus léger à porter que des plumes pour les globes de mes prunelles qu’entre mes paupières je sentais dilatés, résistants, prêts à soulever bien d’autres fardeaux, toutes les montagnes du monde, sur leur surface délicate. Leur orbe ne se trouvait plus suffisamment rempli par la sphère même de l’horizon. Et tout ce que la nature eût pu m’apporter de vie m’eût semblé bien mince, les souffles de la mer m’eussent paru bien courts pour l’immense aspiration qui soulevait ma poitrine. La mort eût dû me frapper en ce moment que cela m’eût paru indifférent ou plutôt impossible, car la vie n’était pas hors de moi, elle était en moi ; j’aurais souri de pitié si un philosophe eût émis l’idée qu’un jour même éloigné, j’aurais à mourir, que les forces éternelles de la nature me survivraient, les forces de cette nature sous les pieds divins de qui je n’étais qu’un grain de poussière ; qu’après moi il y aurait encore ces falaises arrondies et bombées, cette mer, ce clair de lune, ce ciel ! Comment cela eût-il été possible, comment le monde eût-il pu durer plus que moi, puisque je n’étais pas perdu en lui, puisque c’était
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