Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 6.djvu/157

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rains », les fers, les rasoirs, les cuirs enflaient non moins que les shampoings, les coupes de cheveux, etc., plaçait plus haut Saint-Loup qui payait rubis sur l’ongle, avait plusieurs voitures et des chevaux de selle. Mis au courant de l’ennui de Saint-Loup de ne pouvoir partir avec sa maîtresse, il en parla chaudement au Prince ligoté d’un surplis blanc dans le moment que le barbier lui tenait la tête renversée et menaçait sa gorge. Le récit de ces aventures galantes d’un jeune homme arracha au capitaine-prince un sourire d’indulgence bonapartiste. Il est peu probable qu’il pensa à sa note impayée, mais la recommandation du coiffeur l’inclinait autant à la bonne humeur qu’à la mauvaise celle d’un duc. Il avait encore du savon plein le menton que la permission était promise et elle fut signée le soir même. Quant au coiffeur, qui avait l’habitude de se vanter sans cesse et, afin de le pouvoir, s’attribuait, avec une faculté de mensonge extraordinaire, des prestiges entièrement inventés, pour une fois qu’il rendit un service signalé à Saint-Loup, non seulement il n’en fit pas sonner le mérite, mais, comme si la vanité avait besoin de mentir, et, quand il n’y a pas lieu de le faire, cède la place à la modestie, n’en reparla jamais à Robert.

Tous les amis de Robert me dirent qu’aussi longtemps que je resterais à Doncières, ou à quelque époque que j’y revinsse, s’il n’était pas là, leurs voitures, leurs chevaux, leurs maisons, leurs heures de liberté seraient à moi et je sentais que c’était de grand cœur que ces jeunes gens mettaient leur luxe, leur jeunesse, leur vigueur au service de ma faiblesse.

— Pourquoi du reste, reprirent les amis de Saint-Loup après avoir insisté pour que je restasse, ne reviendriez-vous pas tous les ans ? vous voyez bien que cette petite vie vous plaît ! Et, même, vous vous intéressez à tout ce qui se passe au régiment comme un ancien.