Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 6.djvu/183

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Ce n’était pas seulement les cloches qui revenaient d’Italie, l’Italie était venue avec elles. Mes mains fidèles ne manqueraient pas de fleurs pour honorer l’anniversaire du voyage que j’avais dû faire jadis, car depuis qu’à Paris le temps était redevenu froid, comme une autre année au moment de nos préparatifs de départ à la fin du carême, dans l’air liquide et glacial qui les baignait les marronniers, les platanes des boulevards, l’arbre de la cour de notre maison, entr’ouvraient déjà leurs feuilles comme dans une coupe d’eau pure les narcisses, les jonquilles, les anémones du Ponte-Vecchio.

Mon père nous avait raconté qu’il savait maintenant par A. J. où allait M. de Noirpois quand il le rencontrait dans la maison.

— C’est chez Mme  de Villeparisis, il la connaît beaucoup, je n’en savais rien. Il paraît que c’est une personne délicieuse, une femme supérieure. Tu devrais aller la voir, me dit-il. Du reste, j’ai été très étonné. Il m’a parlé de M. de Guermantes comme d’un homme tout à fait distingué : je l’avais toujours pris pour une brute. Il paraît qu’il sait infiniment de choses, qu’il a un goût parfait, il est seulement très fier de son nom et de ses alliances. Mais du reste, au dire de Noirpois, sa situation est énorme, non seulement ici, mais partout en Europe. Il paraît que l’empereur d’Autriche, l’empereur de Russie le traitent tout à fait en ami. Le père Noirpois m’a dit que Mme  de Villeparisis t’aimait beaucoup et que tu ferais dans son salon la connaissance de gens intéressants. Il m’a fait un grand éloge de toi, tu le retrouveras chez elle et il pourrait être pour toi d’un bon conseil même si tu dois écrire. Car je vois que tu ne feras pas autre chose. On peut trouver cela une belle carrière, moi ce n’est pas ce que j’aurais préféré pour toi, mais tu seras bientôt un homme, nous ne serons pas toujours auprès de toi, et il ne faut pas que nous t’empêchions de suivre ta vocation.