Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/128

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malgré lui et voulait faire payer cher sa présence, contrebat immédiatement d’une contradiction ironique, précise, cruelle, l’assertion timidement risquée ; la mère se range aussitôt, sans le désarmer pour cela, à l’opinion de cet être supérieur qu’elle continuera à vanter à chacun, en son absence, comme une nature délicieuse, et qui ne lui épargne pourtant aucun de ses traits les plus acérés. Saint-Loup était tout autre, mais l’angoisse que provoquait l’absence de Rachel faisait que, pour des raisons différentes, il n’était pas moins dur avec sa mère que ne le sont ces fils-là avec la leur. Et aux paroles qu’il prononça je vis le même battement, pareil à celui d’une aile, que Mme  de Marsantes n’avait pu réprimer à l’arrivée de son fils, la dresser encore tout entière ; mais maintenant c’était un visage anxieux, des yeux désolés qu’elle attachait sur lui.

— Comment, Robert, tu t’en vas ? c’est sérieux ? mon petit enfant ! le seul jour où je pouvais t’avoir !

Et presque bas, sur le ton le plus naturel, d’une voix d’où elle s’efforçait de bannir toute tristesse pour ne pas inspirer à son fils une pitié qui eût peut-être été cruelle pour lui, ou inutile et bonne seulement à l’irriter, comme un argument de simple bon sens elle ajouta :

— Tu sais que ce n’est pas gentil ce que tu fais là.

Mais à cette simplicité elle ajoutait tant de timidité pour lui montrer qu’elle n’entreprenait pas sur sa liberté, tant de tendresse pour qu’il ne lui reprochât pas d’entraver ses plaisirs, que Saint-Loup ne put pas ne pas apercevoir en lui-même comme la possibilité d’un attendrissement, c’est-à-dire un obstacle à passer la soirée avec son amie. Aussi se mit-il en colère :

— C’est regrettable, mais gentil ou non, c’est ainsi.

Et il fit à sa mère les reproches que sans doute il se sentait peut-être mériter ; c’est ainsi que les égoïstes