Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/132

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ne saluait plus et dont il ne parlait pas sans que sa voix tremblât, les appelant exploiteurs de femmes : c’est qu’ils avaient été ruinés par Rachel.

— Je ne me reproche qu’une chose, me dit tout bas Mme de Marsantes, c’est de lui avoir dit qu’il n’était pas gentil. Lui, ce fils adorable, unique, comme il n’y en a pas d’autres, pour la seule fois où je le vois, lui avoir dit qu’il n’était pas gentil, j’aimerais mieux avoir reçu un coup de bâton, parce que je suis certaine que, quelque plaisir qu’il ait ce soir, lui qui n’en a pas tant, il lui sera gâté par cette parole injuste. Mais, Monsieur, je ne vous retiens pas, puisque vous êtes pressé.

Mme de Marsantes me dit au revoir avec anxiété. Ces sentiments se rapportaient à Robert, elle était sincère. Mais elle cessa de l’être pour redevenir grande dame :

— J’ai été intéressée, si heureuse, de causer un peu avec vous. Merci ! merci !

Et d’un air humble elle attachait sur moi des regards reconnaissants, enivrés, comme si ma conversation était un des plus grands plaisirs qu’elle eût connus dans la vie. Ces regards charmants allaient fort bien avec les fleurs noires sur la robe blanche à ramages ; ils étaient d’une grande dame qui sait son métier.

— Mais, je ne suis pas pressé, Madame, répondis-je ; d’ailleurs j’attends M. de Charlus avec qui je dois m’en aller.

Mme de Villeparisis entendit ces derniers mots. Elle en parut contrariée. S’il ne s’était agi d’une chose qui ne pouvait intéresser un sentiment de cette nature, il m’eût paru que ce qui me semblait en alarme à ce moment-là chez Mme de Villeparisis, c’était la pudeur. Mais cette hypothèse ne se présenta même pas à mon esprit. J’étais content de Mme de Guermantes, de Saint-Loup, de Mme de Marsantes, de M. de Charlus, de Mme de Villeparisis, je ne réfléchissais pas, et je parlais gaiement à tort et à travers.