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— Aristote nous a dit dans le chapitre II…, hasarda M. Pierre, l’historien de la Fronde, mais si timidement que personne n’y fit attention. Atteint depuis quelques semaines d’insomnie nerveuse qui résistait à tous les traitements, il ne se couchait plus et, brisé de fatigue, ne sortait que quand ses travaux rendaient nécessaire qu’il se déplaçât. Incapable de recommencer souvent ces expéditions si simples pour d’autres mais qui lui coûtaient autant que si pour les faire il descendait de la lune, il était surpris de trouver souvent que la vie de chacun n’était pas organisée d’une façon permanente pour donner leur maximum d’utilité aux brusques élans de la sienne. Il trouvait parfois fermée une bibliothèque qu’il n’était allé voir qu’en se campant artificiellement debout et dans une redingote comme un homme de Wells. Par bonheur il avait rencontré Mme  de Villeparisis chez elle et allait voir le portrait.

Bloch lui coupa la parole.

— Vraiment, dit-il en répondant à ce que venait de dire Mme  de Villeparisis au sujet du protocole réglant les visites royales, je ne savais absolument pas cela — comme s’il était étrange qu’il ne le sût pas.

— À propos de ce genre de visites, vous savez la plaisanterie stupide que m’a faite hier matin mon neveu Basin ? demanda Mme  de Villeparisis à l’archiviste. Il m’a fait dire, au lieu de s’annoncer, que c’était la reine de Suède qui demandait à me voir.

— Ah ! il vous a fait dire cela froidement comme cela ! Il en a de bonnes ! s’écria Bloch en s’esclaffant, tandis que l’historien souriait avec une timidité majestueuse.

— J’étais assez étonnée parce que je n’étais revenue de la campagne que depuis quelques jours ; j’avais demandé pour être un peu tranquille qu’on ne dise à personne que j’étais à Paris, et je me demandais comment la reine de Suède le savait déjà, reprit Mme  de Villeparisis laissant ses visiteurs étonnés qu’une