Aller au contenu

Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

absence, le refus d’un dîner, une rigueur involontaire, inconsciente, servent plus que tous les cosmétiques et les plus beaux habits. Il y aurait des parvenus, si on enseignait dans ce sens l’art de parvenir.

Au moment où elle traversait le salon où j’étais assis, la pensée pleine du souvenir des amis que je ne connaissais pas et qu’elle allait peut-être retrouver tout à l’heure dans une autre soirée, Mme de Guermantes m’aperçut sur ma bergère, véritable indifférent qui ne cherchais qu’à être aimable, alors que, tandis que j’aimais, j’avais tant essayé de prendre, sans y réussir, l’air d’indifférence ; elle obliqua, vint à moi et retrouvant le sourire du soir de l’Opéra-Comique et que le sentiment pénible d’être aimée par quelqu’un qu’elle n’aimait pas n’effaçait plus :

— Non, ne vous dérangez pas, vous permettez que je m’asseye un instant à côté de vous ? me dit-elle en relevant gracieusement son immense jupe qui sans cela eût occupé la bergère dans son entier.

Plus grande que moi et accrue encore de tout le volume de sa robe, j’étais presque effleuré par son admirable bras nu autour duquel un duvet imperceptible et innombrable faisait fumer perpétuellement comme une vapeur dorée, et par la torsade blonde de ses cheveux qui m’envoyaient leur odeur. N’ayant guère de place, elle ne pouvait se tourner facilement vers moi et, obligée de regarder plutôt devant elle que de mon côté, prenait une expression rêveuse et douce, comme dans un portrait.

— Avez-vous des nouvelles de Robert ? me dit-elle.

Mme de Villeparisis passa à ce moment-là.

— Eh bien ! vous arrivez à une jolie heure, monsieur, pour une fois qu’on vous voit.

Et remarquant que je parlais avec sa nièce, supposant peut-être que nous étions plus liés qu’elle ne savait :

— Mais je ne veux pas déranger votre conversation avec Oriane, ajouta-t-elle (car les bons offices de l’en-