que le duc avait été seul à ne pas vouloir qu’elle me reçût et que, maintenant qu’il la quittait, elle ne voyait plus d’obstacles à s’entourer des gens qui lui plaisaient.
Deux minutes auparavant j’eusse été stupéfait si on m’avait dit que Mme de Guermantes allait me demander d’aller la voir, encore plus de venir dîner. J’avais beau savoir que le salon Guermantes ne pouvait pas présenter les particularités que j’avais extraites de ce nom, le fait qu’il m’avait été interdit d’y pénétrer, en m’obligeant à lui donner le même genre d’existence qu’aux salons dont nous avons lu la description dans un roman, ou vu l’image dans un rêve, me le faisait, même quand j’étais certain qu’il était pareil à tous les autres, imaginer tout différent ; entre moi et lui il y avait la barrière où finit le réel. Dîner chez les Guermantes, c’était comme entreprendre un voyage longtemps désiré, faire passer un désir de ma tête devant mes yeux et lier connaissance avec un songe. Du moins eussé-je pu croire qu’il s’agissait d’un de ces dîners auxquels les maîtres de maison invitent quelqu’un en disant : « Venez, il n’y aura absolument que nous », feignant d’attribuer au paria la crainte qu’ils éprouvent de le voir mêlé à leurs autres amis, et cherchant même à transformer en un enviable privilège réservé aux seuls intimes la quarantaine de l’exclu, malgré lui sauvage et favorisé. Je sentis, au contraire, que Mme de Guermantes avait le désir de me faire goûter à ce qu’elle avait de plus agréable quand elle me dit, mettant d’ailleurs devant mes yeux comme la beauté violâtre d’une arrivée chez la tante de Fabrice et le miracle d’une présentation au comte Mosca :
— Vendredi vous ne seriez pas libre, en petit comité ? Ce serait gentil. Il y aura la princesse de Parme qui est charmante ; d’abord je ne vous inviterais pas si ce n’était pas pour rencontrer des gens agréables.