Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/42

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— Je ne l’ai pas vu, ton mari, depuis plusieurs jours, répondit d’un ton susceptible et fâché Mme de Villeparisis. Je ne l’ai pas vu, ou enfin peut-être une fois, depuis cette charmante plaisanterie de se faire annoncer comme la reine de Suède.

Pour sourire Mme de Guermantes pinça le coin de ses lèvres comme si elle avait mordu sa voilette.

— Nous avons dîné avec elle hier chez Blanche Leroi, vous ne la reconnaîtriez pas, elle est devenue énorme, je suis sûre qu’elle est malade.

— Je disais justement à ces messieurs que tu lui trouvais l’air d’une grenouille.

Mme de Guermantes fit entendre une espèce de bruit rauque qui signifiait qu’elle ricanait par acquit de conscience.

— Je ne savais pas que j’avais fait cette jolie comparaison, mais, dans ce cas, maintenant c’est la grenouille qui a réussi à devenir aussi grosse que le bœuf. Ou plutôt ce n’est pas tout à fait cela, parce que toute sa grosseur s’est amoncelée sur le ventre, c’est plutôt une grenouille dans une position intéressante.

— Ah ! je trouve ton image drôle, dit Mme de Villeparisis qui était au fond assez fière, pour ses visiteurs, de l’esprit de sa nièce.

— Elle est surtout arbitraire, répondit Mme de Guermantes en détachant ironiquement cette épithète choisie, comme eût fait Swann, car j’avoue n’avoir jamais vu de grenouille en couches. En tout cas cette grenouille, qui d’ailleurs ne demande pas de roi, car je ne l’ai jamais vue plus folâtre que depuis la mort de son époux, doit venir dîner à la maison un jour de la semaine prochaine. J’ai dit que je vous préviendrais à tout hasard.

Mme de Villeparisis fit entendre une sorte de grommellement indistinct.

— Je sais qu’elle a dîné avant-hier chez Mme de Mecklembourg, ajouta-t-elle. Il y avait Hannibal de