Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/63

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— C’était même drolatique, interrompit M. de Guermantes dont le bizarre vocabulaire permettait à la fois aux gens du monde de dire qu’il n’était pas un sot et aux gens de lettres de le trouver le pire des imbéciles.

— Je ne peux pas comprendre, reprit la duchesse, comment Robert a jamais pu l’aimer. Oh ! je sais bien qu’il ne faut jamais discuter ces choses-là, ajouta-t-elle avec une jolie moue de philosophe et de sentimentale désenchantée. Je sais que n’importe qui peut aimer n’importe quoi. Et, ajouta-t-elle — car si elle se moquait encore de la littérature nouvelle, celle-ci, peut-être par la vulgarisation des journaux ou à travers certaines conversations, s’était un peu infiltrée en elle — c’est même ce qu’il y a de beau dans l’amour, parce que c’est justement ce qui le rend « mystérieux ».

— Mystérieux ! Ah ! j’avoue que c’est un peu fort pour moi, ma cousine, dit le comte d’Argencourt.

— Mais si, c’est très mystérieux, l’amour, reprit la duchesse avec un doux sourire de femme du monde aimable, mais aussi avec l’intransigeante conviction d’une wagnérienne qui affirme à un homme du cercle qu’il n’y a pas que du bruit dans la Walkyrie. Du reste, au fond, on ne sait pas pourquoi une personne en aime une autre ; ce n’est peut-être pas du tout pour ce que nous croyons, ajouta-t-elle en souriant, repoussant ainsi tout d’un coup par son interprétation l’idée qu’elle venait d’émettre. Du reste, au fond on ne sait jamais rien, conclut-elle d’un air sceptique et fatigué. Aussi, voyez-vous, c’est plus « intelligent » ; il ne faut jamais discuter le choix des amants.

Mais après avoir posé ce principe, elle y manqua immédiatement en critiquant le choix de Saint-Loup.

— Voyez-vous, tout de même, je trouve étonnant qu’on puisse trouver de la séduction à une personne ridicule.