Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 7.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par sa tante susceptible, toutes les visites qu’il ne lui avait pas faites.

— Robert ici ! Mais je n’ai pas même eu un mot de lui ; je crois que je ne l’ai pas vu depuis Balbec.

— Il est si occupé, il a tant à faire, dit Mme de Marsantes.

Un imperceptible sourire fit onduler les cils de Mme de Guermantes qui regarda le cercle qu’avec la pointe de son ombrelle elle traçait sur le tapis. Chaque fois que le duc avait délaissé trop ouvertement sa femme, Mme de Marsantes avait pris avec éclat contre son propre frère le parti de sa belle-sœur. Celle-ci gardait de cette protection un souvenir reconnaissant et rancunier, et elle n’était qu’à demi fâchée des fredaines de Robert. À ce moment, la porte s’étant ouverte de nouveau, celui-ci entra.

— Tiens, quand on parle du Saint-Loup… dit Mme de Guermantes.

Mme de Marsantes, qui tournait le dos à la porte, n’avait pas vu entrer son fils. Quand elle l’aperçut, en cette mère la joie battit véritablement comme un coup d’aile, le corps de Mme de Marsantes se souleva à demi, son visage palpita et elle attachait sur Robert des yeux émerveillés :

— Comment, tu es venu ! quel bonheur ! quelle surprise !

— Ah ! quand on parle du Saint-Loup… je comprends, dit le diplomate belge riant aux éclats.

— C’est délicieux, répliqua sèchement Mme de Guermantes qui détestait les calembours et n’avait hasardé celui-là qu’en ayant l’air de se moquer d’elle-même.

— Bonjour, Robert, dit-elle ; eh bien ! voilà comme on oublie sa tante.

Ils causèrent un instant ensemble et sans doute de moi, car tandis que Saint-Loup se rapprochait de sa mère, Mme de Guermantes se tourna vers moi.