Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/119

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nion d’Oriane sur la véritable position mondaine du nouveau ministre de Grèce et sur la conduite à tenir à son égard, c’est-à-dire l’opinion qu’on aurait dû prévoir, à savoir qu’une duchesse « n’avait pas à se rendre » au bal travesti de ce nouveau ministre. « Je ne vois pas qu’il y ait nécessité à aller chez le ministre de Grèce, que je ne connais pas, je ne suis pas Grecque, pourquoi irais-je là-bas, je n’ai rien à y faire », disait la duchesse.

— Mais tout le monde y va, il paraît que ce sera charmant, s’écriait Mme  de Gallardon.

— Mais c’est charmant aussi de rester au coin de son feu, répondait Mme  de Guermantes. Les Courvoisier n’en revenaient pas, mais les Guermantes, sans imiter, approuvaient. « Naturellement tout le monde n’est pas en position comme Oriane de rompre avec tous les usages. Mais d’un côté on ne peut pas dire qu’elle ait tort de vouloir montrer que nous exagérons en nous mettant à plat ventre devant ces étrangers dont on ne sait pas toujours d’où ils viennent. » Naturellement, sachant les commentaires que ne manqueraient pas de provoquer l’une ou l’autre attitude, Mme  de Guermantes avait autant de plaisir à entrer dans une fête où on n’osait pas compter sur elle, qu’à rester chez soi ou à passer la soirée avec son mari au théâtre, le soir d’une fête où « tout le monde allait », ou bien, quand on pensait qu’elle éclipserait les plus beaux diamants par un diadème historique, d’entrer sans un seul bijou et dans une autre tenue que celle qu’on croyait à tort de rigueur. Bien qu’elle fût antidreyfusarde (tout en croyant à l’innocence de Dreyfus, de même qu’elle passait sa vie dans le monde tout en ne croyant qu’aux idées), elle avait produit une énorme sensation à une soirée chez la princesse de Ligne, d’abord en restant assise quand toutes les dames s’étaient levées à l’entrée du général Mercier, et ensuite en se levant et en demandant ostensiblement ses gens