Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/156

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raient au débit commun de ménage, tout aussi bien que s’il avait été demandé par le mari seul.

— Pourquoi ne me l’a-t-il pas demandé lui-même ? dit la duchesse, il est resté deux heures ici, hier, et Dieu sait ce qu’il a pu être ennuyeux. Il ne serait pas plus stupide qu’un autre s’il avait eu, comme tant de gens du monde, l’intelligence de savoir rester bête. Seulement, c’est ce badigeon de savoir qui est terrible. Il veut avoir une intelligence ouverte… ouverte à toutes les choses qu’il ne comprend pas. Il vous parle du Maroc, c’est affreux.

— Il ne veut pas y retourner, à cause de Rachel, dit le prince de Foix.

— Mais puisqu’ils ont rompu, interrompit M. de Bréauté.

— Ils ont si peu rompu que je l’ai trouvée il y a deux jours dans la garçonnière de Robert ; ils n’avaient pas l’air de gens brouillés, je vous assure, répondit le prince de Foix qui aimait à répandre tous les bruits pouvant faire manquer un mariage à Robert et qui d’ailleurs pouvait être trompé par les reprises intermittentes d’une liaison en effet finie.

— Cette Rachel m’a parlé de vous, je la vois comme ça en passant le matin aux Champs-Élysées, c’est une espèce d’évaporée comme vous dites, ce que vous appelez une dégrafée, une sorte de « Dame aux Camélias », au figuré bien entendu.

Ce discours m’était tenu par le prince Von qui tenait à avoir l’air au courant de la littérature française et des finesses parisiennes.

— Justement c’est à propos du Maroc… s’écria la princesse saisissant précipitamment ce joint.

— Qu’est-ce qu’il peut vouloir pour le Maroc ? demanda sévèrement M. de Guermantes ; Oriane ne peut absolument rien dans cet ordre-là, il le sait bien.

— Il croit qu’il a inventé la stratégie, poursuivit Mme de Guermantes, et puis il emploie des mots