tout le monde, ne pouvait retenir son impatience devant la niaiserie de sa suivante. Aussi celle-ci courait-elle vite en emportant les œillets, mais, pour garder son air à l’aise et mutin, elle jeta en passant devant moi : « La princesse trouve que je suis en retard, elle voudrait que nous fussions parties et avoir les œillets tout de même. Dame ! je ne suis pas un petit oiseau, je ne peux pas être à plusieurs endroits à la fois. »
Hélas ! la raison de ne pas se lever avant une Altesse n’était pas la seule. Je ne pus pas partir immédiatement, car il y en avait une autre : c’était que ce fameux luxe, inconnu aux Courvoisier, dont les Guermantes, opulents ou à demi ruinés, excellaient à faire jouir leurs amis, n’était pas qu’un luxe matériel et comme je l’avais expérimenté souvent avec Robert de Saint-Loup, mais aussi un luxe de paroles charmantes, d’actions gentilles, toute une élégance verbale, alimentée par une véritable richesse intérieure. Mais comme celle-ci, dans l’oisiveté mondaine, reste sans emploi, elle s’épanchait parfois, cherchait un dérivatif en une sorte d’effusion fugitive, d’autant plus anxieuse, et qui aurait pu, de la part de Mme de Guermantes, faire croire à de l’affection. Elle l’éprouvait d’ailleurs au moment où elle la laissait déborder, car elle trouvait alors, dans la société de l’ami ou de l’amie avec qui elle se trouvait, une sorte d’ivresse, nullement sensuelle, analogue à celle que la musique donne à certaines personnes ; il lui arrivait de détacher une fleur de son corsage, un médaillon et de les donner à quelqu’un avec qui elle eût souhaité de faire durer la soirée, tout en sentant avec mélancolie qu’un tel prolongement n’aurait pu mener à autre chose qu’à de vaines causeries où rien n’aurait passé du plaisir nerveux de l’émotion passagère, semblables aux premières chaleurs du printemps par l’impression qu’elles laissent de lassitude et de tristesse. Quant à l’ami,