absolument insensée. De même que nous pouvons un beau jour être heureux de connaître la personne que nous dédaignions le plus, parce qu’elle se trouve être liée avec une jeune fille que nous aimons, à qui elle peut nous présenter, et nous offre ainsi de l’utilité et de l’agrément, choses dont nous l’aurions crue à jamais dénuée, il n’y a pas de propos, pas plus que de relations, dont on puisse être certain qu’on ne tirera pas un jour quelque chose. Ce que m’avait dit Mme de Guermantes sur les tableaux qui seraient intéressants à voir, même d’un tramway, était faux, mais contenait une part de vérité qui me fut précieuse dans la suite.
De même les vers de Victor Hugo qu’elle m’avait cités étaient, il faut l’avouer, d’une époque antérieure à celle où il est devenu plus qu’un homme nouveau, où il a fait apparaître dans l’évolution une espèce littéraire encore inconnue, douée d’organes plus complexes. Dans ces premiers poèmes, Victor Hugo pense encore, au lieu de se contenter, comme la nature, de donner à penser. Des « pensées », il en exprimait alors sous la forme la plus directe, presque dans le sens où le duc prenait le mot, quand, trouvant vieux jeu et encombrant que les invités de ses grandes fêtes, à Guermantes, fissent, sur l’album du château, suivre leur signature d’une réflexion philosophico-poétique, il avertissait les nouveaux venus d’un ton suppliant : « Votre nom, mon cher, mais pas de pensée ! » Or, c’étaient ces « pensées » de Victor Hugo (presque aussi absentes de la Légende des Siècles que les « airs », les « mélodies » dans la deuxième manière wagnérienne) que Mme de Guermantes aimait dans le premier Hugo. Mais pas absolument à tort. Elles étaient touchantes, et déjà autour d’elles, sans que la forme eût encore la profondeur où elle ne devait parvenir que plus tard, le déferlement des mots nombreux et des rimes richement articulées les rendait inassimilables à ces vers