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Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/231

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sance royale de la princesse, et surtout le rigorisme presque fossile des préjugés aristocratiques du prince, préjugés que d’ailleurs le duc et la duchesse ne s’étaient pas fait faute de railler devant moi, et qui, naturellement, devait me faire considérer comme plus invraisemblable encore que m’eût invité cet homme qui ne comptait que les altesses et les ducs et à chaque dîner, faisait une scène parce qu’il n’avait pas eu à table la place à laquelle il aurait eu droit sous Louis XIV, place que, grâce à son extrême érudition en matière d’histoire et de généalogie, il était seul à connaître. À cause de cela, beaucoup de gens du monde tranchaient en faveur du duc et de la duchesse les différences qui les séparaient de leurs cousins. « Le duc et la duchesse sont beaucoup plus modernes, beaucoup plus intelligents, ils ne s’occupent pas, comme les autres, que du nombre de quartiers, leur salon est de trois cents ans en avance sur celui de leur cousin », étaient des phrases usuelles dont le souvenir me faisait maintenant frémir en regardant la carte d’invitation à laquelle ils donnaient beaucoup plus de chances de m’avoir été envoyée par un mystificateur.

Si encore le duc et la duchesse de Guermantes n’avaient pas été à Cannes, j’aurais pu tâcher de savoir par eux si l’invitation que j’avais reçue était véritable. Ce doute où j’étais n’est pas même dû, comme je m’en étais un moment flatté, au sentiment qu’un homme du monde n’éprouverait pas et qu’en conséquence un écrivain, appartînt-il en dehors de cela à la caste des gens du monde, devrait reproduire afin d’être bien « objectif » et de peindre chaque classe différemment. J’ai, en effet, trouvé dernièrement, dans un charmant volume de Mémoires, la notation d’incertitudes analogues à celles par lesquelles me faisait passer la carte d’invitation de la princesse. « Georges et moi (ou Hély et moi, je n’ai pas le livre sous la main pour vérifier), nous grillions si fort d’être admis