Déjà, en effet, le duc, qui semblait pressé d’achever les présentations, m’avait entraîné vers une autre des filles fleurs. En entendant son nom je lui dis que j’avais passé devant son château, non loin de Balbec. « Oh ! comme j’aurais été heureuse de vous le montrer », dit-elle presque à voix basse comme pour se montrer plus modeste, mais d’un ton senti, tout pénétré du regret de l’occasion manquée d’un plaisir tout spécial, et elle ajouta avec un regard insinuant : « J’espère que tout n’est pas perdu. Et je dois dire que ce qui vous aurait intéressé davantage c’eût été le château de ma tante Brancas ; il a été construit par Mansard ; c’est la perle de la province. » Ce n’était pas seulement elle qui eût été contente de montrer son château, mais sa tante Brancas n’eût pas été moins ravie de me faire les honneurs du sien, à ce que m’assura cette dame qui pensait évidemment que, surtout dans un temps où la terre tend à passer aux mains de financiers qui ne savent pas vivre, il importe que les grands maintiennent les hautes traditions de l’hospitalité seigneuriale, par des paroles qui n’engagent à rien. C’était aussi parce qu’elle cherchait, comme toutes les personnes de son milieu, à dire les choses qui pouvaient faire le plus de plaisir à l’interlocuteur, à lui donner la plus haute idée de lui-même, à ce qu’il crût qu’il flattait ceux à qui il écrivait, qu’il honorait ses hôtes, qu’on brûlait de le connaître. Vouloir donner aux autres cette idée agréable d’eux-mêmes existe à vrai dire quelquefois même dans la bourgeoisie elle-même. On y rencontre cette disposition bienveillante, à titre de qualité individuelle compensatrice d’un défaut, non pas, hélas, chez les amis les plus sûrs, mais du moins chez les plus agréables compagnes. Elle fleurit en tout cas tout isolément. Dans une partie importante de l’aristocratie, au contraire, ce trait de caractère a cessé d’être individuel ; cultivé par l’éducation, entretenu par l’idée d’une grandeur propre qui ne peut craindre de s’humi-