Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 8.djvu/89

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aboutissait à point nommé au même résultat que si elles eussent professé des maximes contraires, c’est-à-dire à épouser un duc richissime. Saint-Loup agissait, au contraire, conformément à ses théories, ce qui faisait dire qu’il était dans une mauvaise voie. Certes, du point de vue moral, Rachel était en effet peu satisfaisante. Mais il n’est pas certain que si une personne ne valait pas mieux, mais eût été duchesse ou eût possédé beaucoup de millions, Mme  de Marsantes n’eût pas été favorable au mariage.

Or, pour en revenir à Mme  des Laumes (bientôt après duchesse de Guermantes par la mort de son beau-père) ce fut un surcroît de malheur infligé aux Courvoisier que les théories de la jeune princesse, en restant ainsi dans son langage, n’eussent dirigé en rien sa conduite ; car ainsi cette philosophie (si l’on peut ainsi dire) ne nuisit nullement à l’élégance aristocratique du salon Guermantes. Sans doute toutes les personnes que Mme  de Guermantes ne recevait pas se figuraient que c’était parce qu’elles n’étaient pas assez intelligentes, et telle riche Américaine qui n’avait jamais possédé d’autre livre qu’un petit exemplaire ancien, et jamais ouvert, des poésies de Parny, posé, parce qu’il était « du temps », sur un meuble de son petit salon, montrait quel cas elle faisait des qualités de l’esprit par les regards dévorants qu’elle attachait sur la duchesse de Guermantes quand celle-ci entrait à l’Opéra. Sans doute aussi Mme  de Guermantes était sincère quand elle élisait une personne à cause de son intelligence. Quand elle disait d’une femme, il paraît qu’elle est « charmante », ou d’un homme qu’il était tout ce qu’il y a de plus intelligent, elle ne croyait pas avoir d’autres raisons de consentir à les recevoir que ce charme ou cette intelligence, le génie des Guermantes n’intervenant pas à cette dernière minute : plus profond, situé à l’entrée obscure de la région où les Guermantes jugeaient, ce génie vigilant empêchait les