Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/125

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à la maison que m’avait indiquée Bloch, il témoigna d’un regret sincère de ne le pouvoir pas cette fois puisqu’il repartait le lendemain. « Ce sera pour mon prochain séjour, dit-il. Tu verras, il y a même des jeunes filles, ajouta-t-il d’un air mystérieux. Il y a une petite demoiselle de… je crois d’Orgeville, je te dirai exactement, qui est la fille de gens tout ce qu’il y a de mieux ; la mère est plus ou moins née La Croix-l’Évêque, ce sont des gens du gratin, même un peu parents, sauf erreur, à ma tante Oriane. Du reste, rien qu’à voir la petite, on sent que c’est la fille de gens bien (je sentis s’étendre un instant sur la voix de Robert l’ombre du génie des Guermantes qui passa comme un nuage, mais à une grande hauteur et ne s’arrêta pas). Ça m’a tout l’air d’une affaire merveilleuse. Les parents sont toujours malades et ne peuvent s’occuper d’elle. Dame, la petite se désennuie, et je compte sur toi pour lui trouver des distractions, à cette enfant ! — Oh ! quand reviendras-tu ? — Je ne sais pas ; si tu ne tiens pas absolument à des duchesses (le titre de duchesse étant pour l’aristocratie le seul qui désigne un rang particulièrement brillant, comme on dirait, dans le peuple, des princesses), dans un autre genre il y a la première femme de chambre de Mme Putbus. »

À ce moment, Mme de Surgis entra dans le salon de jeu pour chercher ses fils. En l’apercevant, M. de Charlus alla à elle avec une amabilité dont la marquise fut d’autant plus agréablement surprise, que c’est une grande froideur qu’elle attendait du baron, lequel s’était posé de tout temps comme le protecteur d’Oriane et, seul de la famille — trop souvent complaisante aux exigences du duc à cause de son héritage et par jalousie à l’égard de la duchesse — tenait impitoyablement à distance les maîtresses de son frère. Aussi Mme de Surgis eût-elle fort bien compris les motifs de l’attitude qu’elle redoutait