Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/133

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— Croyez-vous que cet impertinent jeune homme, dit-il en me désignant à Mme  de Surgis, vient de me demander, sans le moindre souci qu’on doit avoir de cacher ces sortes de besoins, si j’allais chez Mme  de Saint-Euverte, c’est-à-dire, je pense, si j’avais la colique. Je tâcherais en tout cas de m’en soulager dans un endroit plus confortable que chez une personne qui, si j’ai bonne mémoire, célébrait son centenaire quand je commençai à aller dans le monde, c’est-à-dire pas chez elle. Et pourtant, qui plus qu’elle serait intéressante à entendre ? Que de souvenirs historiques, vus et vécus du temps du Premier Empire et de la Restauration, que d’histoires intimes aussi qui n’avaient certainement rien de « Saint », mais devaient être très « Vertes », si l’on en croit la cuisse restée légère de la vénérable gambadeuse. Ce qui m’empêcherait de l’interroger sur ces époques passionnantes, c’est la sensibilité de mon appareil olfactif. La proximité de la dame suffit. Je me dis tout d’un coup : « Oh ! mon Dieu, on a crevé ma fosse d’aisances », c’est simplement la marquise qui, dans quelque but d’invitation, vient d’ouvrir la bouche. Et vous comprenez que si j’avais le malheur d’aller chez elle, la fosse d’aisances se multiplierait en un formidable tonneau de vidange. Elle porte pourtant un nom mystique qui me fait toujours penser avec jubilation, quoiqu’elle ait passé depuis longtemps la date de son jubilé, à ce stupide vers dit « déliquescent » : « Ah ! verte, combien verte était mon âme ce jour-là… » Mais il me faut une plus propre verdure. On me dit que l’infatigable marcheuse donne des « garden-parties », moi j’appellerais ça « des invites à se promener dans les égouts ». Est-ce que vous allez vous crotter là ? demanda-t-il à Mme  de Surgis, qui cette fois se trouva ennuyée. Car voulant feindre de n’y pas aller, vis-à-vis du baron, et sachant qu’elle donnerait des jours de sa propre