Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/147

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plus écarté de vous que penser autrement que vous. Car ce sujet m’était infiniment pénible à aborder. Plus je crois qu’une erreur, que même des crimes ont été commis, plus je saigne dans mon amour de l’armée. J’aurais pensé que des opinions semblables aux miennes étaient loin de vous inspirer la même douleur, quand on m’a dit l’autre jour que vous réprouviez avec force les injures à l’armée et que les dreyfusistes acceptassent de s’allier à ses insulteurs. Cela m’a décidé, j’avoue qu’il m’a été cruel de vous confesser ce que je pense de certains officiers, peu nombreux heureusement, mais c’est un soulagement pour moi de ne plus avoir à me tenir loin de vous et surtout que vous sentiez bien que, si j’avais pu être dans d’autres sentiments, c’est que je n’avais pas un doute sur le bien-fondé du jugement rendu. Dès que j’en eus un, je ne pouvais plus désirer qu’une chose, la réparation de l’erreur. » Je vous avoue que ces paroles du prince de Guermantes m’ont profondément ému. Si vous le connaissiez comme moi, si vous saviez d’où il a fallu qu’il revienne pour en arriver là, vous auriez de l’admiration pour lui, et il en mérite. D’ailleurs, son opinion ne m’étonne pas, c’est une nature si droite !

Swann oubliait que, dans l’après-midi, il m’avait dit au contraire que les opinions en cette affaire Dreyfus étaient commandées par l’atavisme. Tout au plus avait-il fait exception pour l’intelligence, parce que chez Saint-Loup elle était arrivée à vaincre l’atavisme et à faire de lui un dreyfusard. Or, il venait de voir que cette victoire avait été de courte durée et que Saint-Loup avait passé dans l’autre camp. C’était donc maintenant à la droiture du cœur qu’il donnait le rôle dévolu tantôt à l’intelligence. En réalité, nous découvrons toujours après coup que nos adversaires avaient une raison d’être du parti où ils sont et qui ne tient pas à ce qu’il