Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/215

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fournisseurs fussent le but de ces randonnées. Il était au contraire quelque goûter, ou garden-party, chez un hobereau ou un bourgeois fort indignes de la marquise. Mais celle-ci, quoique dominant de très haut, par sa naissance et sa fortune, la petite noblesse des environs, avait, dans sa bonté et sa simplicité parfaites, tellement peur de décevoir quelqu’un qui l’avait invitée, qu’elle se rendait aux plus insignifiantes réunions mondaines du voisinage. Certes, plutôt que de faire tant de chemin pour venir entendre, dans la chaleur d’un petit salon étouffant, une chanteuse généralement sans talent et qu’en sa qualité de grande dame de la région et de musicienne renommée il lui faudrait ensuite féliciter avec exagération, Mme de Cambremer eût préféré aller se promener ou rester dans ses merveilleux jardins de Féterne au bas desquels le flot assoupi d’une petite baie vient mourir au milieu des fleurs. Mais elle savait que sa venue probable avait été annoncée par le maître de maison, que ce fût un noble ou un franc-bourgeois de Maineville-la-Teinturière ou de Chatton-court-l’Orgueilleux. Or, si Mme de Cambremer était sortie ce jour-là sans faire acte de présence à la fête, tel ou tel des invités venu d’une des petites plages qui longent la mer avait pu entendre et voir la calèche de la marquise, ce qui eût ôté l’excuse de n’avoir pu quitter Féterne. D’autre part, ces maîtres de maison avaient beau avoir vu souvent Mme de Cambremer se rendre à des concerts donnés chez des gens où ils considéraient que ce n’était pas sa place d’être, la petite diminution qui, à leurs yeux, était, de ce fait, infligée à la situation de la trop bonne marquise disparaissait aussitôt que c’était eux qui recevaient, et c’est avec fièvre qu’ils se demandaient s’ils l’auraient ou non à leur petit goûter. Quel soulagement à des inquiétudes ressenties depuis plusieurs jours, si, après le premier morceau