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À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

rester plus longtemps ; j’avais peur d’être comme mon collègue qui a été envoyé de l’hôtel (car le lift qui disait rentrer pour une profession où on entre pour la première fois, « je voudrais bien rentrer dans les postes », pour compensation, ou pour adoucir la chose s’il s’était agi de lui, ou l’insinuer plus doucereusement et perfidement s’il s’agissait d’un autre supprimait l’r et disait : « Je sais qu’il a été envoyé »). Ce n’était pas par méchanceté qu’il souriait, mais à cause de sa timidité. Il croyait diminuer l’importance de sa faute en la prenant en plaisanterie. De même s’il m’avait dit : « Vous savez que je ne l’ai pas trouvée », ce n’est pas qu’il crût qu’en effet je le susse déjà. Au contraire il ne doutait pas que je l’ignorasse, et surtout il s’en effrayait. Aussi disait-il « vous le savez » pour s’éviter à lui-même les affres qu’il traverserait en prononçant les phrases destinées à me l’apprendre. On ne devrait jamais se mettre en colère contre ceux qui, pris en faute par nous, se mettent à ricaner. Ils le font non parce qu’ils se moquent, mais tremblent que nous puissions être mécontents. Témoignons une grande pitié, montrons une grande douceur à ceux qui rient. Pareil à une véritable attaque, le trouble du lift avait amené chez lui non seulement une rougeur apoplectique mais une altération du langage, devenu soudain familier. Il finit par m’expliquer qu’Albertine n’était pas à Egreville, qu’elle devait revenir seulement à 9 heures et que, si des fois, ce qui voulait dire par hasard, elle rentrait plus tôt, on lui ferait la commission, et qu’elle serait en tout cas chez moi avant une heure du matin.

Ce ne fut pas ce soir-là encore, d’ailleurs, que commença à prendre consistance ma cruelle méfiance. Non, pour le dire tout de suite, et bien que le fait ait eu lieu seulement quelques semaines après, elle naquit d’une remarque de Cottard. Albertine et ses