Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/44

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moins saisissant pourtant que d’autres que tout herborisateur humain, tout botaniste moral, pourra observer, malgré leur rareté, et qui leur présentera un frêle jeune homme qui attendait les avances d’un robuste et bedonnant quinquagénaire, restant aussi indifférent aux avances des autres jeunes gens que restent stériles les fleurs hermaphrodites à court style de la Primula veris tant qu’elles ne sont fécondées que par d’autres Primula veris à court style aussi, tandis qu’elles accueillent avec joie le pollen des Primula veris à long style. Quant à ce qui était de M. de Charlus, du reste, je me rendis compte dans la suite qu’il y avait pour lui divers genres de conjonctions et desquelles certaines, par leur multiplicité, leur instantanéité à peine visible, et surtout le manque de contact entre les deux acteurs, rappelaient plus encore ces fleurs qui dans un jardin sont fécondées par le pollen d’une fleur voisine qu’elles ne toucheront jamais. Il y avait en effet certains êtres qu’il lui suffisait de faire venir chez lui, de tenir pendant quelques heures sous la domination de sa parole, pour que son désir, allumé dans quelque rencontre, fût apaisé. Par simples paroles la conjonction était faite aussi simplement qu’elle peut se produire chez les infusoires. Parfois, ainsi que cela lui était sans doute arrivé pour moi le soir où j’avais été mandé par lui après le dîner Guermantes, l’assouvissement avait lieu grâce à une violente semonce que le baron jetait à la figure du visiteur, comme certaines fleurs, grâce à un ressort, aspergent à distance l’insecte inconsciemment complice et décontenancé. M. de Charlus, de dominé devenu dominateur, se sentait purgé de son inquiétude et calmé, renvoyait le visiteur, qui avait aussitôt cessé de lui paraître désirable. Enfin, l’inversion elle-même, venant de ce que l’inverti se rapproche trop de la femme pour pouvoir avoir des rapports