venir mardi, justement Isvolski sera là, il en parlerait avec vous. J’ai un cadeau à vous faire, chérie, ajouta-t-elle en se tournant vers la duchesse, et que je ne ferais à personne qu’à vous. Les manuscrits de trois pièces d’Ibsen, qu’il m’a fait porter par son vieux garde-malade. J’en garderai une et vous donnerai les deux autres. »
Le duc de Guermantes n’était pas enchanté de ces offres. Incertain si Ibsen ou d’Annunzio étaient morts ou vivants, il voyait déjà des écrivains, des dramaturges allant faire visite à sa femme et la mettant dans leurs ouvrages. Les gens du monde se représentent volontiers les livres comme une espèce de cube dont une face est enlevée, si bien que l’auteur se dépêche de « faire entrer » dedans les personnes qu’il rencontre. C’est déloyal évidemment, et ce ne sont que des gens de peu. Certes, ce ne serait pas ennuyeux de les voir « en passant », car grâce à eux, si on lit un livre ou un article, on connaît « le dessous des cartes », on peut « lever les masques ». Malgré tout, le plus sage est de s’en tenir aux auteurs morts. M. de Guermantes trouvait seulement « parfaitement convenable » le monsieur qui faisait la nécrologie dans le Gaulois. Celui-là, du moins, se contentait de citer le nom de M. de Guermantes en tête des personnes remarquées « notamment » dans les enterrements où le duc s’était inscrit. Quand ce dernier préférait que son nom ne figurât pas, au lieu de s’inscrire il envoyait une lettre de condoléances à la famille du défunt en l’assurant de ses sentiments bien tristes. Que si cette famille faisait mettre dans le journal : « Parmi les lettres reçues, citons celle du duc de Guermantes, etc. », ce n’était pas la faute de l’échotier, mais du fils, frère, père de la défunte, que le duc qualifiait d’arrivistes, et avec qui il était désormais décidé à ne plus avoir de relations (ce qu’il appelait, ne sachant pas bien le sens des locu-