Page:Proust - Albertine disparue.djvu/316

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Rachel — que dans la peur qu’il ne commençât avec une autre cocotte — ou peut-être avec la même, car Robert fut long à oublier Rachel — un nouveau collage qui eût peut-être été son salut. Maintenant je comprenais ce que Robert avait voulu me dire chez la princesse de Guermantes : « C’est malheureux que ta petite amie de Balbec n’ait pas la fortune exigée par ma mère, je crois que nous nous serions bien entendus tous les deux. » Il avait voulu dire qu’elle était de Gomorrhe comme lui de Sodome, ou peut-être, s’il n’en était pas encore, ne goûtait-il plus que les femmes qu’il pouvait aimer d’une certaine manière et avec d’autres femmes. Gilberte aussi eût pu me renseigner sur Albertine. Si donc, sauf de rares retours en arrière, je n’avais perdu la curiosité de rien savoir sur mon amie, j’aurais pu interroger sur elle non seulement Gilberte mais son mari. Et, en somme, c’était le même fait qui nous avait donné à Robert et à moi le désir d’épouser Albertine (à savoir qu’elle aimait les femmes). Mais les causes de notre désir, comme ses buts aussi, étaient opposés. Moi, c’était par le désespoir où j’avais été de l’apprendre, Robert par la satisfaction ; moi pour l’empêcher, grâce à une surveillance perpétuelle, de s’adonner à son goût ; Robert pour le cultiver et pour la liberté qu’il lui laisserait afin qu’elle lui amenât des amies. Si Jupien faisait ainsi remonter à très peu de temps la nouvelle orientation, si divergente de la primitive, qu’avaient prise les goûts charnels de Robert, une conversation que j’eus avec Aimé, et qui me rendit fort malheureux, me montra que l’ancien maître d’hôtel de Balbec faisait remonter cette divergence, cette inversion, beaucoup plus haut. L’occasion de cette conversation avait été quelques jours que j’avais été passer à Balbec, où Saint-Loup lui-même était venu avec sa femme que, dans cette première phase, il ne quittait d’un seul pas. J’avais admiré comme l’influence de Rachel se faisait encore sentir sur Robert.