Je n’aurais d’ailleurs pas à m’arrêter sur ce séjour que je fis du côté de Combray, et qui fut peut-être le moment de ma vie où je pensai le moins à Combray, si, justement par là, il n’avait apporté une vérification au moins provisoire à certaines idées que j’avais eues d’abord du côté de Guermantes, et une vérification aussi à d’autres idées que j’avais eues du côté de Méséglise. Je recommençais chaque soir, dans un autre sens, les promenades que nous faisions à Combray, l’après-midi, quand nous allions du côté de Méséglise. On dînait maintenant, à Tansonville, à une heure où jadis on dormait depuis longtemps à Combray. Et cela à cause de la saison chaude. Et puis, parce que, l’après-midi, Gilberte peignait dans la chapelle du château, on n’allait se promener qu’environ deux heures avant le dîner. Au plaisir de jadis, qui était de voir en rentrant le ciel pourpre encadrer le calvaire ou se baigner dans la Vivonne, succédait celui de partir à la nuit venue, quand on ne rencontrait plus dans le village que le triangle bleuâtre, irrégulier et mouvant, des moutons qui rentraient. Sur une moitié des champs le coucher s’éteignait ; au-dessus de l’astre était déjà allumée la lune qui bientôt les baignerait tout entiers. Il arrivait que Gilberte me laissât aller sans elle et je m’avançais, laissant mon ombre derrière moi, comme une barque qui poursuit sa navigation à travers des étendues enchantées. Mais le plus souvent Gilberte m’accompagnait. Les promenades que nous faisions ainsi, c’était bien souvent celles que je faisais jadis enfant : or comment n’eussé-je pas éprouvé, bien plus vivement encore que jadis du côté de Guermantes, le sentiment que jamais je ne serais capable d’écrire, auquel s’ajoutait celui que mon imagination et ma sensibilité s’étaient affaiblies, quand je vis combien peu j’étais curieux de Combray ? Et j’étais désolé de voir combien peu je revivais mes années d’autrefois. Je trouvais la Vivonne mince et laide au bord du