Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/104

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guéable dans la plupart des cas, nous sépare des grands hommes de l’Antiquité. Saluons-les d’un rivage à l’autre.

«  Avec les Modernes, c’est tout différent. La critique, qui règle sa méthode sur les moyens, a ici d’autres devoirs. Connaître et bien connaître un homme de plus, surtout si cet homme est un individu marquant et célèbre, c’est une grande chose et qui ne saurait être à dédaigner.

«  L’observation morale des caractères en est encore au détail, à la description des individus et tout au plus de quelques espèces  : Théophraste et La Bruyère ne vont pas au-delà. Un jour viendra, que je crois avoir entrevu dans le cours de mes observations, un jour où la science sera constituée, où les grandes familles d’esprit et leurs principales divisions seront déterminées, et connues. Alors le principal caractère d’un esprit étant donné, on pourra en déduire plusieurs autres. Pour l’homme sans doute, on ne pourra jamais faire exactement comme pour les animaux ou pour les plantes  ; l’homme moral est plus complexe  ; il a ce qu’on nomme liberté et qui dans tous les cas suppose une grande mobilité de combinaisons possibles. Quoi qu’il en soit, on arrivera avec le temps, j’imagine, à constituer plus largement la science du moraliste  ; elle en est aujourd’hui au point où la botanique en était avant Jussieu, et l’anatomie comparée avant Cuvier, à l’état, pour ainsi dire, anecdotique. Nous faisons pour notre