Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/121

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littérature aussi comme des sortes de lundis, que peut-être on pourra relire, mais qui doivent avoir été écrits à leur heure avec souci de l’opinion des bons juges, pour plaire, et sans trop compter sur la postérité. Il voit la littérature sous la catégorie du temps. «  Je vous annonce une intéressante saison poétique, écrit-il à Béranger. On nous attendait sur le pré…  » et comme il a une belle sagesse antique, il dit  : «  Après cela, ce n’est guère de cette poésie dont moi en mon particulier j’use  ; ce n’est pas non plus la vôtre, c’est celle des générations tumultueuses, enivrées, qui n’y regardent pas de si près.  » On raconte qu’en mourant il se demande si on aimera plus tard la littérature et il dit aux Goncourt, à propos de Madame Gervaisais  : «  Revenez tout à fait frais et en appétit. Ce roman de Rome viendra en plein à propos, et il me semble que l’opinion littéraire à votre égard est dans un état d’éveil et de curiosité avertie, où il ne faut qu’un coup de talent pour décider un grand succès.  » La littérature lui paraît une chose d’époque, qui vaut ce que valait le personnage. En somme, il vaut mieux jouer un grand rôle politique et ne pas écrire que d’être un mécontent politique et écrire un livre de morale…, etc. Aussi n’est-il pas comme Emerson, qui disait qu’il fallait atteler son char à une étoile. Il tâche de l’atteler à ce qui est le plus contingent, la politique  : «  collaborer à un grand mouvement social m’a paru intéressant  », dit-il. Il est revenu vingt fois sur le regret que Cha-