Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/178

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truite et belle. Il y a là un grand moyen de domination… Que veux-tu, pour moi, l’affaire actuelle, sentiment à part (l’insuccès me tuerait moralement) c’est tout ou rien, c’est quitte ou double… Le cœur, l’esprit, l’ambition ne veulent pas en moi autre chose que ce que je poursuis depuis seize ans  ; si ce bonheur immense m’échappe, je n’ai plus besoin de rien. Il ne faut pas croire que j’aime le luxe. J’aime le luxe de la rue Fortunée avec tous ses accompagnements  : une belle femme, bien née, dans l’aisance et avec les plus belles relations.  » Ailleurs, il parle encore d’elle en ces termes  : «  Cette personne qui apporte avec elle (fortune à part) les plus précieux avantages sociaux.  » On ne peut pas s’étonner après cela que dans Le Lys dans la Vallée, sa femme idéale par excellence, l’ «  ange  », Mme de Mortsauf, écrivant à l’heure de la mort à l’homme, à l’enfant qu’elle aime, Félix de Vandenesse, une lettre dont le souvenir lui restera si sacré que bien des années après il en dira  : «  Voici l’adorable voix qui tout à coup retentit dans le silence de la nuit, voici la sublime figure qui se dressa pour me montrer le vrai chemin  », lui donnera les préceptes de l’art de parvenir. De parvenir honnêtement, chrétiennement. Car Balzac sait qu’il doit nous peindre une figure de sainte. Mais il ne peut imaginer que, même aux yeux d’une sainte, la réussite sociale ne soit pas le but suprême. Et quand il célébrera à sa sœur et à ses nièces les bienfaits qu’on retire de l’intimité avec