Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/238

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née Forcheville. Parmi les propriétés de son mari, il y avait à Alençon le vieil hôtel de Forcheville, avec une grande façade sur la place comme dans Le Cabinet des Antiques, avec un jardin descendant jusqu’à la Gracieuse, comme dans La Vieille Fille. Le comte de Forcheville l’avait laissé aux jardiniers du jardin, ne trouvant aucun plaisir à aller «  s’enterrer  » à Alençon. Mais la jeune marquise le rouvrit et allait y passer quelques semaines tous les ans, y trouvant un grand charme qu’elle qualifiait elle-même de balzacien. Elle fit venir du château de Forcheville, dans les combles duquel ils avaient été relégués comme démodés, quelques vieux meubles venant de la grand-mère du comte de Forcheville, quelques objets se rattachant à l’histoire ou à quelque souvenir à la fois sentimental et aristocratique de la famille. Elle était devenue, en effet, à Paris une de ces jeunes femmes de la société aristocratique qui aiment leur caste d’un goût en quelque sorte esthétique, et qui sont à l’ancienne noblesse ce que sont à la plèbe bretonne ou normande les hôteliers avisés du mont Saint-michel ou de «  Guillaume le Conquérant  », qui ont compris que leur charme était précisément dans la sauvegarde de cette antiquité, charme rétrospectif auquel elles furent surtout initiées par des littérateurs épris de leur propre charme à elles, ce qui jette un double reflet de littérature et de beauté contemporaine (quoique racée) sur cet esthétisme.