Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/284

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parler de tout ce qui lui était indifférent, c’est-à-dire de tout ce qui n’était pas lui, il l’a, lui, maintenant pour parler d’elle, pour dire indifféremment «  ma pauvre mère  ».

À côté de ces vitraux se jouent des vitraux secondaires, où nous surprenons un nom obscur alors, nom du capitaine des gardes qui sauve le Prince, du patron du vaisseau qui le met à la mer pour faire échapper la Princesse, nom noble mais obscur et qui est devenu connu depuis, né dans la fente des circonstances tragiques comme une fleur entre deux pavés, et qui porte à jamais en lui le reflet du dévouement qui l’illustre et qui l’hypnotise encore. Je les trouve plus touchants encore, ces noms nobles, je voudrais plus encore pénétrer dans l’âme des fils qui n’est éclairée qu’à la seule lumière de ce souvenir, et qui a de toutes choses la vision absurde et déformée que donne aux choses cette lueur tragique. Je me souviens d’avoir ri de cet homme grisonnant, défendant à ses enfants de parler à un Juif, faisant ses prières à table, si correct, si avaricieux, si ridicule, si ennemi du peuple. Et son nom maintenant l’éclaire pour moi quand je le revois, nom de son père qui fit échapper la duchesse de Berri sur un bateau, âme où cette lueur de la vie enflammée que nous voyons rougir l’eau au moment où la duchesse appuyée sur lui va mettre à la voile, est restée la seule lumière. Ame de naufrage, de torches allumées, de fidélité sans raisonnement, âme de vitrail. Peut-être sous