Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/291

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ces biens au soleil unis mystiquement à travers la France, un château au Midi, une forêt à l’Ouest, une ville au Nord tout cela uni par des alliances et rejoint par des remparts, tous ces biens au soleil brillant, assemblés côte à côte, abstraitement dans sa puissance, comme dans un symbole héraldique, comme un château d’or, une tour d’argent, des étoiles de sable qu’au travers des siècles, conquêtes et mariages ont inscrit symétriquement dans les quartiers d’un champ d’azur.

– Mais, si tu étais si bien, pourquoi es-tu revenu  ?

– Voilà. Un jour, contrairement à nos habitudes, nous avions été faire une promenade dans la journée. À un endroit où nous étions déjà passés quelques jours auparavant et où l’œil embrassait une belle étendue de champs, de bois, de hameaux, soudain à gauche une bande du ciel sur une petite étendue sembla s’obscurcir et prendre une consistance, une sorte de vitalité, d’irradiation que n’aurait pas eue un nuage, et enfin cristallisa selon un système architectural en une petite cité bleuâtre dominée par un double clocher. Immédiatement je reconnus la figure irrégulière, inoubliable, chérie et redoutée, Chartres  ! D’où venait cette apparition de la ville au bord du ciel, comme telle grande figure symbolique apparaissait la veille d’une bataille aux héros de l’Antiquité, comme… vit Carthage, comme Énée  ?…