Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

coucher sans avoir parlé de son article avec sa Maman.

– Comment le trouves-tu  ?

– Ta Maman, qui n’a pas étudié dans le grand Cyre, trouve que c’est très bien.

– N’est-ce pas que le passage sur le téléphone n’est pas mal  ?

– C’est très bien  ; comme aurait dit ta vieille Louise, je ne sais pas où ce que cet enfant-là va chercher tout cela, que je suis encore arrivée jusqu’à mon âge sans en avoir entendu parler.

– Non, mais enfin sérieusement, si tu avais lu cela sans savoir que c’était de moi, l’aurais-tu trouvé bien  ?

– Je l’aurais trouvé très bien, et aurais cru que c’était de quelqu’un de bien plus intelligent que mon petit serin, qui ne sait pas dormir comme tout le monde et qui est à cette heure-ci chez sa Maman en chemise de nuit. Félicie, faites attention, vous me tirez les cheveux. Va vite t’habiller ou te recoucher, mon chéri, parce que c’est samedi et je n’ai pas trop de temps. Crois-tu que, si les gens qui te lisent te voyaient comme ça à cette heure-ci, ils auraient l’ombre d’estime pour toi  ?

Le samedi en effet, comme mon père faisait un cours, le déjeuner était une heure plus tôt. Ce petit changement d’heure donnait d’ailleurs pour nous tous au samedi une figure particulière et assez sympathique. On savait qu’on allait déjeuner d’un instant à l’autre, qu’on avait droit à entrer