jardins qui commence à embaumer dans les allées de votre grand’tante, quand ne sont pas encore fondues les dernières boules de neige des giboulées de Pâques. Venez avec la glorieuse vêture de soie du lis digne de Salomon, et l’émail polychrome des pensées, mais venez surtout avec la brise fraîche encore des dernières gelées et qui va entr’ouvrir, pour les deux papillons qui depuis ce matin attendent à la porte, la première rose de Jérusalem. »
On se demandait à la maison si on devait m’envoyer tout de même dîner avec M. Legrandin. Mais ma grand’mère refusa de croire qu’il eût été impoli. « Vous reconnaissez vous-même qu’il vient là avec sa tenue toute simple qui n’est guère celle d’un mondain. » Elle déclarait qu’en tous cas, et à tout mettre au pis, s’il l’avait été, mieux valait ne pas avoir l’air de s’en être aperçu. À vrai dire mon père lui-même, qui était pourtant le plus irrité contre l’attitude qu’avait eue Legrandin, gardait peut-être un dernier doute sur le sens qu’elle comportait. Elle était comme toute attitude ou action où se révèle le caractère profond et caché de quelqu’un : elle ne se relie pas à ses paroles antérieures, nous ne pouvons pas la faire confirmer par le témoignage du coupable qui n’avouera pas ; nous en sommes réduits à celui de nos sens dont nous nous demandons, devant ce souvenir isolé et incohérent, s’ils n’ont pas été le jouet d’une illusion ; de sorte que de telles attitudes, les seules qui aient de l’importance, nous laissent souvent quelques doutes.
Je dînai avec Legrandin sur sa terrasse ; il faisait clair de lune : « Il y a une jolie qualité de silence, n’est-ce pas, me dit-il ; aux cœurs blessés comme l’est le mien, un romancier que vous lirez plus tard prétend que conviennent seulement l’ombre et le silence. Et voyez-vous, mon enfant, il vient dans la vie une heure dont vous êtes bien loin encore où