Page:Proust - Du côté de chez Swann.djvu/270

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cette grâce des mouvements de ceux dont les membres assouplis exécutent exactement ce qu’ils veulent, sans participation indiscrète et maladroite du reste du corps. La simple gymnastique élémentaire de l’homme du monde tendant la main avec bonne grâce au jeune homme inconnu qu’on lui présente et s’inclinant avec réserve devant l’ambassadeur à qui on le présente, avait fini par passer sans qu’il en fût conscient dans toute l’attitude sociale de Swann, qui vis-à-vis de gens d’un milieu inférieur au sien comme étaient les Verdurin et leurs amis, fit instinctivement montre d’un empressement, se livra à des avances, dont selon eux un ennuyeux se fût abstenu. Il n’eut un moment de froideur qu’avec le docteur Cottard : en le voyant lui cligner de l’œil et lui sourire d’un air ambigu avant qu’ils se fussent encore parlé (mimique que Cottard appelait « laisser venir »), Swann crut que le docteur le connaissait sans doute pour s’être trouvé avec lui en quelque lieu de plaisir, bien que lui-même y allât pourtant fort peu, n’ayant jamais vécu dans le monde de la noce. Trouvant l’allusion de mauvais goût, surtout en présence d’Odette qui pourrait en prendre une mauvaise idée de lui, il affecta un air glacial. Mais quand il apprit qu’une dame qui se trouvait près de lui était Mme  Cottard, il pensa qu’un mari aussi jeune n’aurait pas cherché à faire allusion devant sa femme à des divertissements de ce genre ; et il cessa de donner à l’air entendu du docteur la signification qu’il redoutait. Le peintre invita tout de suite Swann à venir avec Odette à son atelier ; Swann le trouva gentil. « Peut-être qu’on vous favorisera plus que moi, dit Mme  Verdurin, sur un ton qui feignait d’être piqué, et qu’on vous montrera le portrait de Cottard (elle l’avait commandé au peintre). Pensez bien, « monsieur » Biche, rappela-t-elle au peintre, à qui c’était