Page:Proust - La Prisonnière, tome 1.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de nature que nous lui prêtons n’est que fictive et pour la commodité du langage. On nous a dit qu’une belle jeune fille est tendre, aimante, pleine des sentiments les plus délicats. Notre imagination le croit sur parole, et quand nous apparaît pour la première fois, sous la ceinture crespelée de ses cheveux blonds, le disque de sa figure rose, nous craignons presque que cette trop vertueuse sœur nous refroidisse par sa vertu même, ne puisse jamais être pour nous l’amante que nous avons souhaitée. Du moins, que de confidences nous lui faisons dès la première heure, sur la foi de cette noblesse de cœur ! que de projets convenus ensemble ! Mais quelques jours après, nous regrettons de nous être tant confiés, car la rose jeune fille rencontrée nous tient, la seconde fois, les propos d’une lubrique furie. Dans les faces successives qu’après une pulsation de quelques jours nous présente la rose lumière interceptée, il n’est même pas certain qu’un movimentum, extérieur à ces jeunes filles, n’ait pas modifié leur aspect, et cela avait pu arriver pour mes jeunes filles de Balbec.

On vous vante la douceur, la pureté d’une vierge. Mais après cela on sent que quelque chose de plus pimenté vous plairait mieux, et on lui conseille de se montrer plus hardie. En soi-même était-elle plutôt l’une ou l’autre ? Peut-être pas, mais capable d’accéder à tant de possibilités diverses dans le courant vertigineux de la vie. Pour une autre, dont tout l’attrait résidait dans quelque chose d’implacable (que nous comptions fléchir à notre manière), comme, par exemple, pour la terrible sauteuse de Balbec qui effleurait dans ses bonds les crânes des vieux messieurs épouvantés, quelle déception quand, dans la nouvelle face offerte par cette figure, au moment où nous lui disions des tendresses exaltées par le souvenir de tant de duretés envers les autres,