Page:Proust - La Prisonnière, tome 2.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il n’en était pas moins taquin jusqu’à la plus féroce persécution et jaloux de domination dans le petit clan jusqu’à ne pas reculer devant les pires mensonges, devant la fomentation des haines les plus injustifiées, pour rompre entre les fidèles les liens qui n’avaient pas pour but exclusif le renforcement du petit groupe. C’était un homme capable de désintéressement, de générosités sans ostentation, cela ne veut pas dire forcément un homme sensible, ni un homme sympathique, ni scrupuleux, ni véridique, ni toujours bon. Une bonté partielle, où subsistait peut-être un peu de la famille amie de ma grand’tante, existait probablement chez lui, par ce fait, avant que je la connusse, comme l’Amérique ou le pôle Nord avant Colomb ou Peary. Néanmoins, au moment de ma découverte, la nature de M. Verdurin me présenta une face nouvelle insoupçonnée ; et je conclus à la difficulté de présenter une image fixe aussi bien d’un caractère que des sociétés et des passions. Car il ne change pas moins qu’elles et si on veut clicher ce qu’il a de relativement immuable, on le voit présenter successivement des aspects différents (impliquant qu’il ne sait pas garder l’immobilité, mais bouge) à l’objectif déconcerté.