que le journalisme, dans lequel Brichot se contentait, en somme, de donner tardivement, avec honneur et en échange d’émoluments superbes, ce qu’il avait gaspillé toute sa vie gratis et incognito dans le salon des Verdurin (car ses articles ne lui coûtaient pas plus de peine, tant il était disert et savant, que ses causeries) eût conduit, et parut même un moment conduire Brichot à une gloire incontestée, s’il n’y avait pas eu Mme Verdurin. Certes, les articles de Brichot étaient loin d’être aussi remarquables que le croyaient les gens du monde. La vulgarité de l’homme apparaissait à tout instant sous le pédantisme du lettré. Et à côté d’images qui ne voulaient rien dire du tout (les Allemands ne pourront plus regarder en face la statue de Beethoven ; Schiller a dû frémir dans son tombeau ; l’encre qui avait paraphé la neutralité de la Belgique était à peine séchée ; Lénine parle, mais autant en emporte le vent de la steppe), c’étaient des trivialités telles que : « Vingt mille prisonniers, c’est un chiffre » ; « Notre commandement saura ouvrir l’œil et le bon » ; « Nous voulons vaincre, un point c’est tout. » Mais, mêlés à tout cela, tant de savoir, tant d’intelligence, de si justes raisonnements. Or, Mme Verdurin ne commençait jamais un article de Brichot sans la satisfaction préalable de penser qu’elle allait y trouver des choses ridicules, et le lisait avec l’attention la plus soutenue pour être certaine de ne les pas laisser échapper. Or, il était malheureusement certain qu’il y en avait quelques-unes. On n’attendait même pas de les avoir trouvées. La citation la plus heureuse d’un auteur vraiment peu connu, au moins dans l’œuvre à laquelle Brichot se reportait, était incriminée comme preuve du pédantisme le plus insoutenable et Mme Verdurin attendait avec impatience l’heure du dîner pour déchaîner les éclats de rire de ses convives. « Hé bien, qu’est-ce que vous avez dit du Brichot de ce soir ? J’ai pensé à vous en lisant la citation de Cuvier. Ma parole, je crois qu’il
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