Page:Proust - Le Temps retrouvé, 1927, tome 1.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rer, pour des raisons de famille, la destruction de l’église de Combray à celle de la cathédrale de Reims, qui était comme le miracle d’une cathédrale gothique retrouvant naturellement la pureté de la statuaire antique, ou de celle d’Amiens. Je ne sais si le bras levé de Saint Firmin est aujourd’hui brisé. Dans ce cas la plus haute affirmation de la foi et de l’énergie a disparu de ce monde. — Son symbole, Monsieur, lui répondis-je. Et j’adore autant que vous certains symboles. Mais il serait absurde de sacrifier au symbole la réalité qu’il symbolise. Les cathédrales doivent être adorées jusqu’au jour où, pour les préserver, il faudrait renier les vérités qu’elles enseignent. Le bras levé de Saint Firmin dans un geste de commandement presque militaire disait : Que nous soyons brisés si l’honneur l’exige. Ne sacrifiez pas des hommes à des pierres dont la beauté vient justement d’avoir un moment fixé des vérités humaines. — Je comprends ce que vous voulez dire, me répondit M. de Charlus, et M. Barrès, qui nous a fait, hélas, trop faire de pèlerinages à la statue de Strasbourg et au tombeau de M. Déroulède, a été touchant et gracieux quand il a écrit que la cathédrale de Reims elle-même nous était moins chère que la vie de nos fantassins. Assertion qui rend assez ridicule la colère de nos journaux contre le général allemand qui commandait là-bas et qui disait que la cathédrale de Reims lui était moins précieuse que celle d’un soldat allemand. C’est, du reste, ce qui est exaspérant et navrant, c’est que chaque pays dit la même chose. Les raisons pour lesquelles les associations industrielles de l’Allemagne déclarent la possession de Belfort indispensable à préserver leur nation contre nos idées de revanche sont les mêmes que celles de Barrès exigeant Mayence pour nous protéger contre les velléités d’invasion des Boches. Pourquoi la restitution de l’Alsace-Lorraine a-t-elle paru à la France un motif insuffisant pour faire la guerre, un motif suffisant pour